Cumul emploi retraite obligation volontaire

Travailler à la retraite : un droit ou une obligation ?

J’ai lu dans la presse — dans les médias dit-on aujourd'hui — qu’on aurait le droit de travailler sans limite d’âge, même jusqu’à 100 ans et que ça passe de mieux en mieux dans l’esprit des gens. D’ailleurs de plus en plus de retraités se mettent au boulot.

« En France, il n'y a aucune âge limite pour travailler », explique France-Info TV.
« Travailler de nouveau après sa cessation d'activité est désormais mieux accepté. Employeurs en quête de compétences perdues et ex-salariés y trouvent leur compte » observe Le Figaro.
Cependant, « Le nombre de seniors qui cumulent travail et retraite a bondi de 50 % depuis 2009. » s’étrangle L’Est Républicain.

Oh, mère-grand, que tu as de grandes dents !

Autrement dit, ce que nous disent les medias c’est : faudra pas râler quand on va rallonger la durée de la vie au travail (ce que les politiques publiques font déjà !).

Mais bon sang ! Pourquoi quand on est à la retraite a-t-on tellement envie de travailler ?

J’ai un peu cherché des réponses à cette question. J’avais bien une petite idée (ce n'est pas toujours pour se rendre utile, loin de là) mais j’ai cherché quand même ailleurs.

Mais ce que je peux dire, d'ores et déjà, c'est que, à force de nous suriner que c'est super de travailler quand on a 62, 65 ans et plus, on va nous faire croire qu'il n'y a pas d'autre choix, "c'est la seule solution" disait Margaret Thatcher. Du coup, on réforme le système de retraite et hop, travailler plus longtemps pour gagner plus ! et regardez, il y a de super dispositifs ! pour vous aider à travailler plus longtemps. 😰

CNAV logo

En juin 2018, la CNAV a publié une étude très intéressante et passée largement inaperçue : « Prendre sa retraite : incidence des dispositifs de prolongation d’activité sur les parcours individuels ».

Autrement dit, étudier les effets de 3 dispositifs d’incitation à l’emploi sur les seniors, retraités ou pas encore.

1- la surcote
2- la retraite progressive
3- le cumul emploi-retraite

1- Travailler plus longtemps pour mettre du gras dans sa pension

La surcote est un dispositif qui « encourage les seniors salariés du privé à continuer à travailler »  au lieu de partir à « taux plein » et ainsi de faire grossir sa pension de retraite de 1,25% à 3%. Contrairement à la décote, ce dispositif n’est pas plafonné.

Depuis 2003, la surcote porte sur toute la pension et pas seulement sur la part complémentaire.

2- Quitter en douceur le monde du travail

La retraite progressive est un dispositif d'aménagement de fin de carrière. On continue à travailler dans son entreprise mais à temps partiel. Le temps non travaillé est un temps de retraite. On perçoit sa pension « à temps partiel ».

Vous continuez à cotiser et à accumuler des droits et des trimestres, qui sont pris en compte au moment de la liquidation définitive de votre retraite. Vous avez même la possibilité de sur-cotiser.

Le dispositif existe depuis 1989. En 2003, il s’ouvre aux personnes ne justifiant pas du taux plein.

Cet aménagement facilite la transition entre vie active et retraite (écouter le podcast de Patrick la sagesse).

3- Les retraités cumulards, ceux qui bossent encore


Enfin, le cumul emploi-retraite offre la possibilité à des personnes déjà retraitées d’avoir une activité rémunérée. En pratique, le fait de travailler ne permet pas d’augmenter sa pension de retraite. Mais ça procure un complément de revenu (ben oui, quoi !).

Jusqu’en 2009, avoir un emploi rémunéré à la retraite était légalement très compliqué. La réforme supprime les deux limites principales : la fin du délai de latence et la fin du plafond de cumul des ressources. Ceci dit, le dispositif a connu de nombreuses modifications depuis 2009… et les délais de carence ont refait leur apparition.

Le cumul emploi-retraite est un dispositif commun à l’ensemble des régimes de retraite. Tous les retraités, quel que soit leur ancien statut professionnel, peuvent y avoir accès.

Bien heureux ceux qui ont atteint l’âge légal ET le nombre de trimestres requis pour accéder au taux plein. Ceux-là peuvent cumuler, sans limitation, leurs pensions et leurs revenus d’activité. C’est le cumul intégral (ou libéralisé). On peut commencer à cumuler dès le 1er jour de sa nouvelle vie de retraité.

Sinon, il y a le cumul partiel. Mais là les conditions sont plus strictes. Il faut attendre par exemple plusieurs mois avant de reprendre un travail chez son ancien employeur.

Avec la surcote, t’as la cote !

La CNAV dresse pour nous le bilan de ces 3 dispositifs. Et nous fait la preuve par 9 (à sa manière) qu'il faut partir toujours plus tard.

Les salariés ayant bénéficié de la surcote ont eu des salaires parmi les plus élevés et des carrières « peu heurtées », traduisez sans chômage et avec les trajectoires salariales « les plus dynamiques ». Le plus souvent ils ont fait des études longues. La surcote n’a fait que renforcer le profil : les surcoteurs perçoivent les pensions les plus élevées du régime général. Bon. Mais il y a aussi des socialement moins bien lotis parmi les surcoteurs…

Résultat de recherche d'images pour "empiler"

La surcote, je dirai qu’il faut vraiment en avoir envie (on continue à bosser, coute que coute).
Ou bien ne pas avoir le choix, sur le plan financier : la perspective d'une pension minable et ridicule vous pousse à trimer encore.
Ou alors avoir très peur de tourner la page. On s'accroche, on s'accroche…

Pourtant, de son entrée en vigueur en 2004 et jusqu’en 2010, le nombre de nouveaux retraités ayant bénéficié de la surcote n’a cessé d’augmenter. Il se stabilise depuis autour de 12-13% des nouveaux retraités de l’année : 10.000 en 2004 et près de 85.000 en 2016.

Et ça se féminise : un peu moins de 40% de femmes au début 2004, aujourd'hui plus de 50%.

Travailler moins et recevoir presqu’autant

Avec la retraite progressive, vous passez d'un temps plein à un temps partiel sans les effets négatifs qui vont avec côté salaire, puisque vous avez une compensation de la baisse de revenus : le versement d'une pension de retraite (dite progressive) presque égale au manque à gagner côté salaire. Les salariés du secteur privé, les artisans et commerçants, les salariés et non-salariés du régime agricole et d’autres encore peuvent en bénéficier.

C'est formidable.
Mais ça, bien sur, à la condition que l’entreprise y soit favorable et/ou que la nature du travail rendent le temps partiel possible.
La vache, il faut la traire tous les jours ! (je dis ça pour les agriculteurs, mais il n'y a pas qu'eux).

Depuis 2015, on peut bénéficier de ce dispositif avant l’âge légal de départ, ce qui renforce l’attractivité du dispositif. Depuis juin 2018, ceux qui cumulent plusieurs temps partiels peuvent aussi en bénéficier.

Le recul de l’âge légal et l’allongement de la durée requise pour le taux plein vont naturellement faire saliver pour ce dispositif.

  • Entre 1990 et 1998 : environ un millier de personnes sont concernées.
  • Ensuite ça diminue de plus en plus : 529 personnes en 2006.
  • Et voilà une brusque montée en charge en 2007 : 1.164 !
  • Déjà plus de trois mille en 2014,
  • plus de 5.200 l’année suivante,
  • 11.561 en 2016 et 15.911 en 2017.

La CNAV observe que, par rapport à l’ensemble des retraités, ceux qui partent en retraite progressive ont des carrières plus complètes et mieux rémunérées.
Alors, c'est pas tout le monde, me susurre Charlotte.

Retourner travailler pour vivre correctement

Troisième formule, celle qui a le plus de succès ou du moins la plus répandue : le cumul emploi-retraite. Tout retraité y a droit.

En 2009, on compte 12 554 521 retraités du régime général et parmi eux 242 972 cumulards
(la CNAV a un langage plus précieux : elle parle de cumulants).
En 2017, on est passé à 14 139 534 retraités du régime général et parmi eux 377 105 cumulards.

Entre 2009 et 2017, le nombre de retraités a augmenté de 12,6%.
Au cours de la même période, le nombre de cumulards a lui augmenté de 55,2%.
Donc beaucoup plus.

En 2016, près de 460 000 personnes sont dans cette situation.

On a le droit de travailler. On cotise pour la caisse de retraite mais cela ne modifie en rien le montant de sa pension. On cotise par solidarité en quelque sorte.

Depuis 2010, au moins 12% des nouveaux retraités de l’année font du cumul emploi-retraite — quasi autant chez les hommes (52%) que chez les femmes (48%)

Résultat de recherche d'images pour "euros"

826€ c'est ce que touchent les cumulards du régime général (en moyenne, bien sur !) comme pension de retraite (hors revenu de l’emploi). Alors que la pension de retraite moyenne du régime général est de 691€.

Je ne sais pas bien à quoi correspondent précisément ces chiffres de la CNAV, mais on voit bien que les cumulards ont en moyenne des pensions plus élevées que les autres (19%). De là à dire que les plus pauvres travaillent au noir, il n'y a qu'un pas… que je n'oserais pas franchir  🍄.

Des situations précaires pour 1 cumulard sur 3

Pourtant, la CNAV dans son analyse identifie un groupe de cumulards — essentiellement féminin — qui se caractérisent par une vie professionnelle pleine de trous. Ces femmes se sont arrêtées de travailler au moment de la naissance des enfants et, pour les hommes surtout, ont subi de longues périodes de chômage. 🧀

C'est le cas de 1 cumulard sur 3 (31%).

Il s’agit souvent de personnes seules ou de ménages à faibles ressources. Leur salaire moyen en fin de carrière est de 35% du montant du plafond de la sécurité sociale (équivalent à 1570€ en 2018). En partant à la retraite, ces cumulards n’ont pas toujours eu le nombre de trimestres requis pour un taux plein.
30% des retraités de ce groupe ont eu une pension minorée par une décote.

Leur pension moyenne est de 883€/mois. Avec un si faible revenu, difficile de vivre correctement.

Travailler à la retraite n’est plus un oxymore mais souvent une nécessité

C'est quoi un oxymore ? Me demande Charlotte.
Un oxymore, c'est une figure de style qui consiste à allier deux mots de sens contradictoires. Ici, retraite et travail !

La CNAV écrit dans sa conclusion : « Ils préfèrent cumuler deux sources de revenus (retraite et salaire) pendant quelques années, plutôt que de bénéficier d’une retraite plus élevée en décalant leur départ à la retraite et améliorant ainsi leur pension. »

Autrement dit : ils sont bêtes ces retraités. Ils préfèrent cumuler emploi et retraite alors que s'ils partaient plus tard, ils gagneraient beaucoup plus.
On pourrait voir les choses autrement.

Résultat de recherche d'images pour "marteau sur la tête"

D'abord, reprendre une activité professionnelle à la retraite n'est pas forcément une question d'argent. Le retraité n'est pas obnubilé par le pognon, même s'il ne lui en reste pas lourd après les diverses ponctions fiscales.
Reprendre une activité professionnelle répond bien souvent à un besoin de se sentir socialement utile et de se faire plaisir en ayant une vraie activité, chaque semaine. Ça permet aussi de sortir de chez soi et de voir des gens.

Mais bon. Il faut se rendre à l'évidence. De plus en plus de retraités retournent travailler pour la bonne et simple raison qu'ils n'arrivent pas à boucler leur budget à la fin du mois. Et sans faire d'excès.

"On ne peut plus suivre" : ils sont retraités mais travaillent encore par nécessité économique — titre France TV Info
Sur les 16 millions de retraités en France, plus de 460 000 continuent d'exercer une activité professionnelle.

Les cumulards quittent leur emploi parce qu’ils sont fatigués des contraintes d’efficience, du toujours plus que leur impose l’entreprise et de l’ambiance qui y règne. Ils partent parce que, à un moment, ils ont le droit d’arrêter et de souffler. Et bien souvent, les RH les poussent vers la sortie. A l’évidence, toutes les entreprises ne proposent pas la retraite progressive à leurs salariés ! (écouter le podcast d'Elise).

Et puis au bout d’un moment, quelques mois ou davantage, ils se rendent compte que leur pension n’est pas suffisante pour pratiquer les activités qu’ils aimeraient faire, pour payer le dentiste, pour faire les travaux de rénovation de la maison. Alors ils cherchent une activité professionnelle… à temps partiel.

Pour certains (sans doute le groupe des femmes décrit un peu plus haut), c’est encore bien pire. Un peu comme au Japon. Leur pension, minimum vieillesse ou pas, est nettement insuffisante pour payer un loyer, les factures d’EDF et remplir le frigidaire.

Continuer à travailler n’est plus un plaisir pour rester dans le coup mais une nécessité vitale pour de plus en plus de retraités !

Bon courage !