Regarder sa vie du bon côté et déprimer
Je viens de lire le témoignage poignant de Lisa. Elle était en dépression depuis 3 ans quand elle a pris conscience que les listes de « bonnes choses » que la vie lui procure la rendaient malade. Et j’ai tout de suite pensé à ces jeunes retraités qui regardent leur vie passée avec un rétroviseur. Et qui se disent « ah ! Comme c’était bien avant ! J’ai perdu tout cela. Maintenant rien ne va plus ».
Lisa raconte qu’elle était très abattue. Elle pleurait dès qu’elle se levait le matin. Elle a perdu son travail. Ensuite son chat est mort. Puis la chaudière de son appartement a rendu l’âme. Quand elle racontait ça, les gens lui donnait le même conseil : « Fais une liste de tout ce qui va bien, de toutes les choses dont tu peux être reconnaissante à la vie ».
L’attitude « gratitude et reconnaissance » serait plus efficace contre la dépression que le Prozac…
« Alors, dit-elle, j'ai commencé à faire des 'listes de gratitude', à noter ce qui va bien, toutes les choses pour lesquelles je dois dire merci à la vie.
Chaque jour. En essayant d'être précise. Un mari aimant. Un bébé adorable. Un appartement pas cher dans un quartier branché. Un nouveau job en télétravail. etc. »
C'est ainsi que, après 100 jours de listes de gratitude, des centaines d’euros de psychothérapie, un deuxième antidépresseur et une myriade de traitements alternatifs, elle a abandonné tout espoir de se sentir mieux. Jusqu’à ce qu’elle aille voir un nème thérapeute.
Gratitude et reconnaissance à la vie
« En somme, ce n'est pas si grave… » lui dit-elle nerveusement, supposant que c’était un incompétent de plus. « J'ai de bonnes raisons d'être reconnaissante à ma vie. »
« Vraiment ? » a-t-il répondu.
Puis il a commencé à énumérer ce qu'il avait observé dans ses listes quotidiennes de gratitude :
- Faire du télétravail en élevant un enfant l’obligeait à prendre sur son sommeil.
- Si l'appartement dans lequel elle vivait était si bon marché, c’est tout simplement parce qu'il était sombre, étroit et particulièrement humide… à la limite de l’insalubrité.
- Travailler à la maison l'a maintenu dans l’isolement.
- Elle était stressée par un emprunt bancaire qu’elle n’arrivait pas à rembourser.
- Et ainsi de suite.
« Tout ça est très dur à vivre » lui a dit son nouveau thérapeute.
« Il faudrait assumer cela et en finir avec ces ‘listes de gratitude’. Arrêter de faire semblant. Et faire plutôt des listes de tout ce qui ne va pas !! »
Là, Lisa a éclaté de rire. Elle a ri franchement, pour la première fois depuis longtemps.
« Quand je me suis réveillée le lendemain matin, je me suis sentie mal dans ma peau, j’avais la nausée.
« Mais je n’avais pas la nausée parce que je me sentais mal. Car je n’avais plus l’impression d’être une ingrate. Je me sentais triste et stressée parce que ma vie était triste et stressante. Et ce fut un énorme soulagement.
« Mon nouveau thérapeute avait raison. J'étais triste et furieuse, j’avais le cœur brisé, j’étais épuisée et terrifiée et accablée et désespérée. J'ai commencé à écrire ma première liste d'ingratitude. La liste de tout ce qui n’allait pas bien.
« Mes ‘listes d'ingratitude’ m'ont donné une direction, m’ont donné du sens, m'ont aidées à chasser ce sentiment de honte et à accepter d’agir. »
L’affaire du rétroviseur
Bon, me direz-vous. Pourquoi nous raconter cela ? Quel rapport avec la retraite ?
Et bien tout simplement à cause de l’affaire du rétroviseur, du « deuil de sa vie passée » dont j’entends beaucoup parler et qui ne fait absolument pas avancer le schmilblick.
Combien de fois ai-je entendu : pour s’engager dans la retraite il faut faire le deuil de sa vie passée.
Faire le deuil ? Le deuil est une douleur, une affliction profonde. C'est une épreuve à affronter, à surmonter. En somme, un renoncement. Je fais mon deuil de ce qui me choque disait Michelet.
Il faudrait donc admettre la perte de notre vie d’avant, comme on admet celle d’un être cher ?
Mais l’a-t-on perdue cette vie d’avant ? Non. Le jeune retraité est confronté à sa vie à venir. Il doit regarder vers l’avenir mais il préfère regarder le passé — pour être précis : certains retraités adoptent cette attitude, pas tous heureusement ! Et pourquoi ? Parce qu’il a peur ? Peur de l’inconnu ?
Plusieurs de nos interviewés (Patrick ici et Sylvie là) ont donné spontanément deux mots pour décrire ce qu’ils ressentent : curieux et perplexe.
Il faut bien le dire. Ceux qui parlent du deuil de leur vie passée, fonctionnent avec un rétroviseur. Ils ne regardent pas devant eux mais derrière eux. Et pleurent sur ce qui leur semble être un bonheur égaré.
La liste des ennuis que vous n'aurez plus
Alors, comme Lisa, je leur propose de faire des listes « d’ingratitude ». Tout ce que la vie leur a fait de mal, toutes les difficultés qu’ils ont eu à affronter, le stress au travail, le reporting, les résultats à atteindre, toujours plus haut ! La pression du boss et ses coups de gueule.
La tête des gens le matin dans les transports en commun ou les bouchons sur la route pour arriver au travail. Et le soir la fatigue, les visages fermés, les odeurs désagréables dans le bus, le métro. Ou les bouchons pour rentrer à la maison. Et les tâches ménagères qui vous attendent…
A faire de telles listes, vous n’aurez qu’une envie : regarder vers l’avenir. Avec curiosité. Et construire quelque chose à votre rythme. Des activités qui vous font plaisir. Qui seront nourries par tout ce que votre vie d’avant vous aura apporté.
Bonnes listes.
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