Réforme des retraites neutralité

Réforme des retraites : un piège pour nos enfants

Le projet de réforme des retraites, annoncé pour l'été 2019, prévoit d’instaurer un régime universel qui se substituerait sur 10 ans aux 37 régimes existants actuellement. L’objectif annoncé du projet : simplifier le système et le rendre plus juste.

  • Un système simple et juste ? Permettez-moi d’en douter.

Une réforme à double détente :

  • Elle ne touche pas les retraités actuels, aussi personne ne va se plaindre
  • Elle s’appliquera à ceux qui entrent aujourd'hui sur le marché du travail: qui mesureront donc l’ampleur de la catastrophe dans 30 ans.

Universel, le mot de la réforme des retraites

Le régime se veut universel, c'est-à-dire le même pour tous. Implicitement on peut comprendre que le système actuel n’est pas le même pour tous. D’ailleurs le fait qu’il y ait 37 régimes différents tendrait à le prouver.

Or, il n’en est rien. 37 régimes peut-être mais qui sont tous des régimes par répartition ou apparentés. Ce que le régime dit universel n’est pas.

Le régime universel remplacerait le mode de cotisation actuel par un compte notionnel individuel qui assurerait la neutralité actuarielle.

Vous n’avez rien compris ? Au début, moi non plus.

Alors, laissez-moi vous expliquer tout d’abord ce que neutralité actuarielle veut dire. Je vous parlerai ensuite du compte notionnel dans ce projet de réforme qui se veut moderne. Pour terminer, nous verrons comment, en vrai, nos enfants devront travailler plus pour avoir une pension de retraite un peu plus… enfin, pas trop ascétique.

Je vous dirai aussi un mot sur la Suède, au passage.

Neutralité actuarielle

Je lis « neutralité actuarielle ». Je me dis : ah c’est super, c’est neutre, donc y’a pas de privilégiés. Sans doute que aujourd'hui avec les 37 régimes, certains sont mieux lotis que d’autres. Là magnifique, tous pareil.

En fait, ce n’est pas tout à fait ça, comme nous l’allons voir ici !

Tout d’abord, « actuariel », c’est quoi ? me dis-je… Alors je cherche.

Le Larousse m’explique : « Relatif aux calculs effectués par les actuaires. »

Ah ! Et que font les actuaires ?

Les actuaires sont des spécialistes de l'application du calcul des probabilités et de la statistique aux questions de prévoyance sociale, d'assurances et de finances.

Dans le monde de la finance, on parle de taux actuariel. Ce taux indique le rendement d'un placement financier. Le taux d’actualisation est alors équivalent au taux d’intérêt (comme à la banque). En matière de retraites, le taux d’actualisation dépend de la croissance économique globale. Oulala !

Il paraît que le modèle actuariel est une simplification du processus d'actualisation. Simplification ? Je ne suis pas plus avancée. Je continue à chercher.

Où l’on comprend que "actuariel" et "actuel" sont assez proches, Ari !

Actualiser, c’est rendre actuelle (calculée aujourd’hui) une somme d’argent future.

C’est se poser par exemple la question : combien valent 150 € de dans 15 ans ? Car l’argent — l’argent des cotisations retraite par exemple — n’aura pas la même valeur dans 15 ans : inflation, augmentation des salaires (sic), variations démographiques (nombre de chômeurs, nouveaux retraités, retraités qui disparaissent), PIB et croissance économique, etc. Donc si tout était en euros constants, combien ça vaudrait ?

Imaginez maintenant que ces 150€ soient constitués d’un versement de 10€ chaque année. Les 10 premiers euros restent 15 ans dans la cagnotte. L’année suivante il y a 20€ dans la cagnotte et les 10€ versés en année 2 ne restent que 14 ans. Les 10€ d’après, 13 ans et ainsi de suite.

Donc les diverses variations de la valeur de l’argent s’appliquent chaque année à une somme différente, sur une durée différente. Oups… c’est pas très simple tout ça. Heureusement qu’il y a des actuaires et leur méthode pour faire les calculs.

Et la neutralité dans tout ça ?

La neutralité n’est pas franchement aussi incolore et inodore que je le pensais au départ…

La neutralité actuarielle pose un principe d’équivalence entre contributions (les cotisations) et prestations (les pensions versées aux retraités). Plus précisément, il s’agit du bilan actualisé des contributions d’un coté et celui des prestations de l’autre.

Je commence à comprendre : la neutralité actuarielle, c’est quand le passé est égal au futur. En gros.

La neutralité signifie que :

  • L’enveloppe globale des pensions qui seront versées aux retraités dans l’avenir (pour les personnes qui ont 15 ans d’espérance de vie à la minute présente)
  • doit être la même que l’enveloppe globale des cotisations perçues par le système (sur une période de… ?).
  • Les entrées doivent être égales — en moyenne — aux sorties d’argent de la cagnotte.

Cela doit s’appliquer à l’ensemble des contributions (la cagnotte globale) et, au plus près, pour chaque contributeur individuellement (le futur retraité que vous êtes).

La cagnotte que constitue l’argent de vos cotisations, celles que vous avez versé au fil des années (le passé) doit être utilisée pour payer votre pension mensuelle (dans le futur). Pas un sou de plus, pas un sou de moins.

Quand l’économie subit des secousses

Si l’économie est florissante,

  • le nombre de chômeurs va diminuer,
  • les cotisants seront plus nombreux,
  • du coup, les « prestations » seront également plus élevées

- et vous pourrez partir assez vite à la retraite, bien nourri.

Ça c’est la version vie en rose.

Malheureusement, le système n’est pas à l’abri des secousses économiques (crises financières, précarité, chômage) et des évolutions démographiques (accroissement de la longévité). Rappelez-vous que le taux d’actualisation correspond à la croissance économique globale.

  • Moins d’argent cumulé dans la cagnotte globale,
  • plus de retraités qui attendent chaque mois leur pension.
  • Résultat : vous avez intérêt à continuer à travailler pour améliorer votre neutralité actuarielle personnelle, autrement dit, le montant de votre pension au moment de la sortie.

En un mot comme en cent : la neutralité actuarielle conduit soit à une durée de travail plus longue soit à une dégradation du niveau des pensions de retraite. l'argument du gâteau à partager s'exprime autrement mais ne tient pas la route pour autant ! En pratique, c’est l’âge du départ à la retraite qui déterminera le montant de la pension.

Je vous ré-explique autrement ?

La neutralité actuarielle vous offre une retraite à la carte. Génial !

Car la méthode autorise une certaine flexibilité de l’âge de la retraite, explique D. BLANCHET, du COR (Conseil d’Orientation des Retraites) dès février 2006. La question est « quelle carte », quel est le menu proposé ? s’interroge-t-il.

Et de répondre : c’est la combinaison taux de cotisation / âge de la retraite / taux de remplacement qui constitue le menu of the day. Un menu équilibré sinon « le système risque d’être déséquilibré et mal coordonné » précise BLANCHET.

Bref. Avec la neutralité actuarielle,

  • si vous partez à l’âge de 65 ans, le niveau de votre pension sera calculé en actualisant les versements (futurs) sur votre durée de vie moyenne estimée, de sorte que cela corresponde au montant de cotisations que vous aurez accumulé à l’âge de 65 ans (sur votre vie de travail passée).
  • si vous partez à l’âge de 66 ans, donc 1 an plus tard, vous aurez cotisé davantage et vous aurez une durée de vie estimée plus courte… et donc votre pension sera plus élevée.

Aujourd'hui, si vous avez votre nombre de trimestres pour une retraite à taux plein, travailler une année de plus n’améliorera pas votre ordinaire. Vous êtes fatigué à 62 ans, partez, prenez votre retraite !

Pas très neutre, la neutralité actuarielle, n’est-ce pas ?

Un compte notionnel pour une réforme qui se veut moderne

Avant de vous expliquer ce qu’est un compte notionnel, laissez moi vous rappeler comment fonctionne notre système actuel du régime général dit par répartition.

D’un coté, les salariés cotisent. Aujourd'hui. De l’autre, les pensions sont versées. Aujourd'hui. Le système est contributif. Les salariés contribuent directement aux pensions. C’est une question de trésorerie.

Ok, à cause des veuves qui touchent une pension de réversion, de ceux qui sont au minimum vieillesse, des périodes de chômage etc… le système n’est pas 100% contributif. Mais le principe est là. Les paramètres du calcul sont fixés à l’avance. Le système assure un taux de remplacement minimum de 70%. Mais si ! Je vous l’ai expliqué la dernière fois… le taux de remplacement c’est la proportion entre votre ancien salaire (2000€ par exemple) et votre pension de retraite : 1400€ ça fait 70% de remplacement, 1800€ ça fait 90% de remplacement.

Les régimes complémentaires (AGIRC, ARRCO) fonctionnent par un système de points. Chaque année, avec les cotisations que vous versez, vous cumulez des points.

La valeur du point est variable : elle dépend de l’activité économiques (les cotisations), du taux de cotisation et de la démographie (actifs, retraités). Cette valeur est fixée chaque année par les caisses. Vous connaissez votre nombre de points. Mais vous ne savez pas aujourd'hui quelle sera la valeur du point quand vous partirez à la retraite. Sur cette partie là de votre pension, vous ne savez plus à l’avance quel est le taux de remplacement… puisque la valeur du point varie d’une année à l’autre.

Venons-en maintenant au compte notionnel.

L’idée de compte notionnel n’est pas nouvelle

L'Italie et la Suède ont testé pour vous…

L’Italie (1995) et la Suède (1998) ont mis en place un système de retraite basé sur les comptes notionnels. Chez nous, le COR (Conseil d’Orientation des Retraites) s’est penché sur la question et a fait plancher ses experts dès 2008, et même un peu avant.

Pour les promoteurs du compte notionnel (comme Thomas Picketty auteur du best-seller mondial Le Capital au XXIe siècle), ce modèle a l’avantage de mieux prendre en compte les carrières longues, de s’adapter à l’augmentation de l’espérance de vie, de permettre des retraites progressives et d’offrir des garanties solides à long terme sur la viabilité du système de retraite – et ce, pour l’ensemble des générations, y compris les plus jeunes. Ce modèle permettrait également de rapprocher le secteur public du secteur privé.

Le système des « comptes notionnels » fonctionne à la manière d’un régime par capitalisation (c'est-à-dire comme si on plaçait votre argent à la banque pour vous), sauf que les cotisations sont accumulées sur un compte virtuel personnel et non pas financier. Aucun titre de bourse n’est acheté, aucun argent n’est placé à la banque. Virtuel, c'est-à-dire qui existe mais qui n’est pas palpable.

Ces cotisations sont revalorisées en fonction du taux de croissance du PIB (de la prospérité économique, donc). La pension de retraite est calculée comme une rente, dans un régime par capitalisation, en tenant compte de l'espérance de vie au moment de la liquidation (au moment où vous partez à la retraite).

 

Autrement dit,

  • on vous verse une rente (une pension mensuelle)
  • dont le montant dépend de la somme accumulée dans la cagnotte virtuelle
  • et du nombre d’année qu’il vous reste à vivre (ce que les statisticiens appellent votre espérance de vie)
  • et donc à percevoir cette rente.

Au moment du départ en retraite, on actualise le montant des sommes que vous aurez versées (durant votre carrière) sur ce compte virtuel. Là maintenant, vous savez ce que c’est « actualiser » n’est-ce pas ? On divise par un coefficient qui dépend de votre âge à ce moment là et comme je le disais tout à l’heure, de l’espérance de vie de votre génération à cet âge. Et nous retrouvons notre neutralité actuarielle tant aimée…

Travaillez plus pour gagner plus à la retraite ?

Travaillez plus pour gagner plus est toujours un leurre. Il présuppose que vous êtes un fainéant qui voudrait gagner sa vie à se tourner les pouces. C’est pourtant la voie que nous ouvre le système universel et son compte notionnel.

Pour ses partisans, le compte notionnel serait plus juste que le système actuel par répartition. Ok. Peut-être sur le papier. Mais quand on regarde la réalité… ça se trouble. Les gens d’une même génération ont-ils tous la même espérance de vie ? Et ben non.

Espérance de vie

Ceux qui ont bossé à l’usine, dans la sidérurgie par exemple, ceux qui ont travaillé sur les chantiers (BTP, routes), ceux qui ont travaillé la terre pour nous nourrir, ont une espérance de vie plus courte que les directeurs et autres managers qui ont passé leur vie dans les bureaux, les pieds sur la moquette.

Alors direz-vous, qu’à cela ne tienne. Yaka trouver un paramètre à introduire dans les calculs pour prendre en compte le métier, la CSP. Oui, super. Sauf que là, comment on fait avec des gens comme Pierre qui a débuté ouvrier, est passé contremaitre pour finir cadre de proximité ?

Et en plus, c’est les dames qui ne vont pas être heureuses. Double peine. Les femmes ont déjà subi les discriminations au travail, les carrières précaire et discontinues et même le plafond de verre.

Comme on l’a vu plus haut, puisque l’âge de départ est directement pris en compte dans le calcul, c’est tout simplement une incitation à travailler plus longtemps.

Et le chômage des seniors ? Et les entreprises qui cherchent à se débarrasser de ceux qu’on appelait les travailleurs âgés ? Ben oui. M’sieudames. Voilà les contre-arguments des économistes qui trouvent le système des comptes notionnels pervers.

La Suède et l’Italie ont testé pour vous

Ces économistes rappellent tout d’abord que la Suède, qui n’a pas été épargnée par la crise de 2008, s’est vue obligée de diminuer les pensions car le système devenait déficitaire ! Et ils ont introduits, les suédois, un coefficient dans le calcul prenant en compte le taux moyen de croissance. Et ça, ça étrangle directement la revalorisation des pensions. Où sont donc les « garanties solides à long terme sur la viabilité du système » ?

Rassurez-vous. Enfin façon de parler… le système suédois n’est pas plus simple que le système français. Ils ont là-bas un régime général par comptes notionnels, un régime complémentaire obligatoire et la possibilité de souscrire à un régime par capitalisation. Pour retrouver ses petits sur l’efficacité du compte notionnel, ce n’est pas évident. Avec ça, les salariés suédois sont confrontés à plus de 800 offres d’épargne différentes pour le régime complémentaire, dont beaucoup ne sont pas fiables. Comme nous l’expliquent les économiste atterrés.

En Italie, c’est pareil. Le truc pour noyer le poisson, c’est que pour comprendre il faut avoir une vision du passé et du futur qui se rejoindraient aujourd'hui, maintenant, au présent.

En fait la réforme ne touchera pas les retraités actuels, ni même ceux qui vont partir prochainement. Elle s’appliquera à ceux qui entrent aujourd'hui sur le marché du travail. Et qui mesureront l’ampleur de la catastrophe dans 30 ans.

La retraite à 60 ans ?

Lorsqu’il partira à la retraite, Kevin ne pourra pas pleurer sur la faiblesse de sa pension. C’est de ta faute, lui dira-t-on. Fallait travailler davantage si tu voulais une meilleure retraite. Et vous avez compris. La bataille autour du principe « la retraite à 60 ans » n’aura plus de sens.

Tu veux partir à 60 ans ? Vas-y. Tu toucheras quelques noyaux de cerise.
Tu veux une pension confortable ? Alors travaille jusqu’à 67, 68… 70 ans !

Je vous en parlais la dernière fois : le système actuel a pour objectif d’assurer un niveau de pension satisfaisant. Vous savez les 70% de taux de remplacement. Et bien dans l’affaire des comptes notionnels, ce fameux taux de remplacement n’est pas assuré puisqu’il dépend de façon cruciale de votre âge et de ce que vous avez cumulé en € dans votre compte.

« La société est dispensée d’offrir une retraite satisfaisante à ceux qui partent à la retraite à 60 ans puisqu’elle peut leur dire : « vous n’avez qu’à travailler jusqu’à 65 ou 70 ans ». En même temps, le choix du départ à la retraite devient une question individuelle, de sorte que les entreprises ne sont pas tenues de conserver leurs travailleurs jusqu’à 65 ou 70 ans. »

Que préférez-vous ?

  • Un système solidaire et collectif : celui par répartition
  • ou bien un système individualiste qui finalement renforce les inégalité sociales et précarise les retraités : le système universel avec ses comptes notionnels ?

Mais direz-vous, comme on vous le dit dans les médias de la télé : le gâteau sera moins gros et il faudra le partager avec davantage de gens. Comment faire autrement ? Ah, ce compte notionnel nous apporte des garanties et nous sort de l’ornière. Y’a pas d’autre solution ! nous disent-ils.

Le chômage et les politiques de l’emploi

Je vais vous dire. Il y a un truc dont on ne parle jamais dans le contexte de la réforme : c’est le travail, l’emploi.

Tout bêtement, rêvons un peu.

  • S’il y avait moins de chômeurs, il y aurait plus d’actifs… Lapalisse n’aurait pas mieux dit.
  • S’il y a plus d’actifs, il y a plus d’argent dans les caisses en cotisation vieillesse.
  • Et donc le gâteau à partager ne reste pas petit. Il grossit.

La solution, la vraie, n’est pas d’accuser le système par répartition et d’affirmer qu’il faut réformer, réformer, vous dis-je ! Et de maintenir un taux de chômage élevé. Non. La solution est de conduire des politiques d’emploi dignes de ce nom, qui résorbent le chômage.

Le projet de réforme des retraites est étroitement lié à la réforme du code du travail, mine de rien. En tout cas on est dans la même logique, dans la même vision du monde économique et social. Mais ça, on n’en parle pas.

Un piège pour nos enfants !