Quand les retraités sont traités de privilégiés

Les retraités passent pour des privilégiés et des nantis aux yeux d'une partie de la classe politique et des médias. Pourtant, ils manifestaient le 28 septembre dernier contre la prochaine baisse de leurs pensions  : 1,7% voilà le problème. L'augmentation prévue de la CSG est de 1,7%.

  • Contrairement aux salariés en activité, la hausse de la CSG des retraités n’est pas compensée par l'allégement d'autres taxes.
    Sauf pour les retraités assujettis à l’ISF.

Les médias, les élus de la majorité et quelques représentants des caisses de retraite ont joué sur la corde sensible de la culpabilisation, accusant les retraités d’être des grippe-sous sans scrupules face aux difficultés économiques des plus jeunes et oublier ce que solidarité veut dire.

Tous des privilégiés ? C'est encore à démontrer

Au mieux, les statistiques officielles du COR (Conseil d’orientation des retraites), de la DREES et de l’INSEE rapportées par les médias présentent des moyennes globalisantes bien floues. Le plus souvent, les accusations de nantis qui pleuvent sur les retraités ne sont étayées par aucun chiffre.

Certains pensent que les retraités, en France, sont des privilégiés. Comme l’explique Henri Sterdyniak de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), il n’y a aucun fondement sérieux à une telle affirmation. Non !

On observe depuis les années 50 (du siècle dernier) une élévation globale des richesses de la société et du niveau de vie. Comparons donc ce qui est comparable. Le niveau de vie d’une personne de 60 ans (ou 35 ans) aujourd'hui est plus élevé que celle de son grand-père, quand il avait lui même 60 ans (ou 35 ans)… il y a de cela cinquante ans !

Ça marche encore mieux quand on compare avec sa grand-mère !

Tout le monde vit mieux, les retraités comme les autres. Est-ce une raison pour taxer davantage les seniors ?

Où nous mènent l'austérité et la CSG

L'origine de cette politique n'est-elle pas à rechercher dans l’ambition d’équilibrer le budget et de réduire les dépenses publiques, comme le demande Bruxelles ?

  • 60% des retraités ont un revenu inférieur à 2000€ mensuels.
  • La hausse de la CSG va délester de 400€ par an un retraité qui perçoit 2000€ par mois.
  • Un retraité sur 5 (20%) a un revenu inférieur à 1200€
  • 7,5% des retraités sont sous le seuil de pauvreté.

N’est-ce pas là le vrai problème de société ?

« Le gouvernement oppose les générations et rompt le pacte social. Les retraités deviennent des vaches à lait pour équilibrer le budget. (…) Il y a 16 millions de retraités dont 1,2 million sous le seuil de pauvreté. Le risque est d'augmenter cette paupérisation.

Comment feront-ils pour payer leur aide à domicile ou leur hébergement en maison de retraite ? On va leur demander de reprendre le travail à 70 ans ? », souligne Henri Sterdyniak.

 

Regardons de plus près ce que disent les médias

Pour France Info, les français sont des privilégiés, et parmi eux les retraités sont sans doute les rois : « Retraités : sont-ils plus privilégiés que la moyenne des Français ? »

Libé affirme que les retraités ont « peur de perdre en pouvoir d'achat » bien qu'ils soient « moins touchés par la pauvreté » !

Le Huffington renchérit. Les retraités seraient plus riches que les actifs et ne soucieraient pas des plus jeunes, sur le marché du travail, qui doivent payer les pensions de retraite des seniors.

…et d'expliquer que « la mesure [hausse de la CSG] doit servir à compenser la suppression des cotisations chômage et maladie pour les salariés du secteur privé » et demande implicitement aux retraités « allez vous pouvez bien faire un petit effort pour les jeunes, quand même ! »

Quant à LCI, la chaine rapporte les propos d'un député LREM : « Moins d’un retraité sur cinq sera pénalisé par cette mesure. » 20%, ce n’est pas beaucoup ! Alors, circulez, y’a rien à voir ! d'autant que seulement 20% n'auront pas à subir l'augmentation (et non l'inverse).

Avec sobriété Le Parisien nous explique que la question fait débat.

Augmentation de la CSG pour 75% des retraités

Alors comme ça, les retraités seraient des privilégiés, des nantis ! Des riches qui se replient sur leur magot et ne veulent pas se serrer un peu la ceinture pour en donner aux jeunes.

 

 

Comment l’argumentation est-elle construite ?

Très simplement :

1Tout d’abord, les retraités sont riches (si, si…) parce qu’ils ont vécu les 30 glorieuses, c'est-à-dire la croissance et un faible taux de chômage.

C’est peut être oublier que les 30 glorieuses se terminent avec les années 70. C’est à dire il y a au moins 35 ans. Les retraités ont peut-être un peu moins subi le chômage de masse et les licenciements économiques que les actifs d'aujourd'hui. Mais ils ont travaillé plus, quarante heures par semaine voire davantage et dans des conditions souvent plus difficiles.

2 Ensuite, « il y avait autrefois 4 actifs pour 1 retraité, il était donc plus facile de payer les pensions » comme l'affirme la chef économiste du groupe Humanis (banque assurance).

Plus facile ? Sans doute. Pourtant les retraités d’aujourd’hui ont cotisé toute leur vie. Les pensions de retraites ne sont pas des cadeaux ! Mais un revenu légitime versé aux ainés grâce à notre système par répartition (allez voir en Grande Bretagne, leur système à 2 vitesses)…

Précisons quand même que en 1975, le rapport démographique entre cotisants et retraités était de 3,14 (et non de 4). Il n’a en effet cessé de baisser pour atteindre 1,29 en 2015.

La solution est-elle de faire les poches des retraités ou bien de mettre en place de réelles politiques de lutte contre le chômage ?

3

Enfin, argument fatal : la solidarité inter-générationnelle.

Invocation des valeurs morales. « Notre système a eu tendance à avantager les plus âgés. » affirme la même chef économiste qui se garde bien d’expliquer ce qui avantageait les seniors.

Dans cette argumentation, on peut maintenant dérouler la raison morale et la rhétorique de culpabilisation. Pour l’économiste d’Humanis :

« La solidarité intergénérationnelle doit fonctionner dans les deux sens » (…) « La situation actuelle est économiquement difficile, donc il faudrait inverser la vapeur pour rééquilibrer le système : les retraités doivent être solidaires des plus jeunes ! » CQFD

Avant, les actifs étaient solidaires des retraités. Donc aujourd'hui les retraités doivent être solidaires des jeunes. Et voilà. Faut-il inverser la vapeur ou plutôt résorber le chômage ?

A bas les privilèges. Nous sommes bien d’accord. Alors les paradis fiscaux, les GAFA (Google, Amazon et compagnie) qui ne payent pas de taxes à l’Etat à hauteur de leurs bénéfices ?

D’autant que, en France « on a l'un des niveaux de retraite les plus élevés de la zone euro. On ne peut pas dire que le système français laisse tomber ses seniors. »

Argumentation imparable !

Oui, le système en France est un des plus généreux en Europe avec les vieux. Car les retraités ont à peu près le même niveau de vie que les 25-60 ans (à peine plus : 6%). En fait, le niveau de vie des retraités est inférieur de 10% si l’on considère uniquement les actifs, ceux qui travaillent. Est-ce une raison pour les tondre ?

Moyennez, moyennez, il en restera toujours quelque chose

Un retraité a en gros entre 55 et 105 ans.

Etre retraité est un statut administratif, pas une catégorie sociale. Les retraités se différentient par leur tranche d’âge, leurs sources de revenus, leur état de santé, leurs besoins etc.

  • Entre les 10% les plus pauvres et les 10% les plus riches on observe un écart de 1 à 3,1
  • 5% des retraités touchent plus de 4500€ par mois. Et n’oublions pas les retraites chapeau qui culminent à des sommets vertigineux.
  • Les revenus des retraités évoluent moins vite que ceux des actifs.

Comme toujours avec les moyennes et les grandes masses, la réalité est floutée. Des réponses — que nos gouvernants nous présentent comme évidentes — sont apportées avant même que les bonnes questions soient posées.

Si la CSG va augmenter de 1,7 % c’est « uniquement pour les retraités les plus aisés » explique-t-on chez Humanis comme chez les porte-parole du gouvernement. Les plus aisés ? En fait, ceux qui touchent plus de 1 440 euros nets par mois. Soit 75% des retraités !

Ceux qui touchent entre 1200€ et 1440€ auront une ristourne (sur les 1,7%). On solde !

« Quand on se fait traiter de fainéants et qu'on a travaillé pendant 45 ans, c'est quand même fort de café ! » rétorque une manifestante. « On a l'impression d'être pris pour des vaches à lait ». Là c’est le Figaro qui donne la parole aux retraités en colère ; à cet ancien fonctionnaire par exemple qui lâche : « Avec ma femme qui était médecin, on va perdre 1000 euros par an. »

Un autre, écœuré : « Je viens défendre mon pouvoir d’achat ! Sachant que je ne dispose pas de lingots d’or, pas de yacht, pas de chevaux de course. Je suis donc imposable et ce, depuis 50 ans ! On n’a plus de pognon, on est saignés ! Voilà ! » Une autre fulmine : « le gouvernement nous fait les poches ! »

Les retraités n’ont pas de meilleurs revenus que les actifs

Grâce à un rapport de la DREES et des données 2017 que l’on y trouve, calculette en main, on découvre que le « système » — si toutefois il a un jour avantagé l’ensemble des seniors — fait de plus en plus usage du presse citron à l’égard des retraités des classes moyennes. Le revenu après la retraite (comparé au revenu d’avant), ce que l’on nomme le taux de remplacement, s’effondre au fil des années.

Le taux de remplacement médian était de 80% chez les natifs de 1936 il passe à 75% pour ceux de 1946. Un retraité né en 1936 sur deux pouvait atteindre 80% de remplacement de son salaire. Un retraité né en 1946 sur deux n’atteindra pas plus de 75% de remplacement de son salaire. La situation s’est donc bien dégradée. Les natifs de 1946 ont eu 65 ans en 2011…

Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, le système n’a pas franchement avantagé les seniors. En témoignent ceux nés après guerre qui voient ainsi leur situation se dégrader par rapport à leurs ainés.

Et ce n’est pas fini.

Actuellement, le système par répartition, justement, a pour objectif de garantir un taux de remplacement satisfaisant — du moins, un taux minimum. Le régime général et l’ARRCO garantissent un taux de 70% pour le secteur privé. Auquel s’ajoute un supplément pour les cadres de l’AGIRC. Un taux de remplacement de 75% (hors primes) est garanti dans le secteur privé.

Comme vous le verrez, la réforme des retraites annoncée encourage jovialement un système par capitalisation (individualiste). Au détriment de notre système actuel par répartition (solidaire et collectif)… Savez-vous ce qu’est la neutralité actuarielle ? Et les comptes notionnels, ça vous parle ? Je vais tenter prochainement de vous expliquer ce qui se cache sous ce vocabulaire technocratique et pour le moins ésotérique. A suivre…

Selon un récent sondage, un fort sentiment d’injustice se propage dans la population. Les gagnants des réformes programmées seraient, selon ce sondage, les grandes fortunes, les salariés à haut niveau de revenu et les retraités aisés.

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